{"id":57931,"date":"2017-03-11T22:15:55","date_gmt":"2017-03-11T21:15:55","guid":{"rendered":"http:\/\/www.troeller-deffarge.com\/?page_id=57931"},"modified":"2018-03-05T09:24:20","modified_gmt":"2018-03-05T08:24:20","slug":"gordian-troeller-biographie-compact","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/fr\/loeuvre\/la-personne\/gordian-troeller-biographie-compact\/","title":{"rendered":"Gordian Troeller biographie compact"},"content":{"rendered":"

Quel est l’\u00e2ge de Gordian Troeller?
\nEst-ce bien important?<\/p>\n

L’homme au grand \u0153il (il est surnomm\u00e9 ainsi car sa cam\u00e9ra ne le quittait pratiquement jamais) n’avoue pas son \u00e2ge non par coquetterie mais pour des raisons pratiques. Alors qu’il tournait en 1978 son film Les panth\u00e8res grises il constata que le travail de sa vie avait \u00e9t\u00e9 un combat contre le sexisme, l’imp\u00e9rialisme, le n\u00e9ocolonialisme, et toute sorte d’autres maux en „isme“. Et tout \u00e0 coup il vit appara\u00eetre un nouveau monstre auquel il fallait s’attaquer : l’\u00e2ge-isme. Le jeunisme marginalisait femmes et hommes ayant d\u00e9pass\u00e9 la quarantaine et les poussait hors de la vie active en les frappant de l’\u00e9tiquette de „have-beens“. „Ce ne sera pas mon cas“, a d\u00e9clar\u00e9 Troeller, „mon \u00e2ge ne regarde que moi-m\u00eame“. „Je continuerai \u00e0 filmer jusqu’\u00e0 ce que je meure et tant que j’aurai quelque chose \u00e0 dire.“<\/p>\n

L’homme au grand \u0153il n’est plus.
\nIl est d\u00e9c\u00e9d\u00e9 le 22 mars 2003, peu de temps apr\u00e8s son 86\u00e8me anniversaire, chez lui \u00e0 Hambourg. Dans son avis de d\u00e9c\u00e8s sa femme, Ingrid Becker-Ross, \u00e9crivait : „L’amour de la vie, un profond humanisme, une constante recherche de justice ont \u00e9t\u00e9 \u00e0 l’origine de tous ses actes“.<\/p>\n

Voici, r\u00e9sum\u00e9es ce que furent la vie et l’\u0153uvre de cet homme extraordinaire qui a tourn\u00e9 son dernier film en 1998.
\nFils d’une famille de Huguenots originaire de Francfort, Troeller est n\u00e9 en Lorraine le 16 mars 1917. Peu de temps apr\u00e8s sa naissance sa famille s\u2019est rendue au Luxembourg puis en Allemagne \u2013 toujours \u00e0 la recherche de travail. A l\u2019arriv\u00e9e du fascisme en 1933, elle s\u2019est d\u00e9finitivement install\u00e9e au Luxembourg.
\nTroeller a quitt\u00e9 le foyer familial pour combattre le fascisme; c’\u00e9tait en 1938. Son s\u00e9jour en Espagne fut bref mais riche en enseignements. Il avait en effet \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin de ce qu’Arthur Koestler appelle „la d\u00e9faillance de Dieu“. Le communisme avait une fois de plus trahi ses enfants. Troeller a r\u00e9alis\u00e9 alors combien des engagements id\u00e9ologiques rigides pouvaient \u00eatre vains. Demeurent de ces exp\u00e9riences un sens aigu de la justice et un rejet total de toute dictature. „Si on m’objectait que j’ai une grande d\u00e9fiance envers toute id\u00e9e de pouvoir, je r\u00e9pondrais que je suis contre tout droit du plus fort. A mon avis la division du monde entre d\u00e9cideurs et sujets est \u00e0 l’origine de tous les probl\u00e8mes.“
\nEn 1940, quelques heures avant l’occupation du Grand Duch\u00e9 par les troupes allemandes, Troeller quitta \u00e0 nouveau le foyer familial. Il partit \u00e0 bicyclette, en pleine nuit, en emmenant avec lui sa fianc\u00e9e juive, Ruth Kahn, qu\u2019il \u00e9pousa la m\u00eame ann\u00e9e. Ils arriv\u00e8rent au Portugal apr\u00e8s une route sem\u00e9e d’emb\u00fbches.
\nDurant la seconde guerre mondiale, Troeller a \u00e9t\u00e9 agent secret au service des Alli\u00e9s. Son r\u00e9seau \u00e9tait compos\u00e9 de p\u00eacheurs, de chauffeurs de taxis, de postiers, de prostitu\u00e9es qui espionnaient les activit\u00e9s de la Gestapo ainsi que les man\u0153uvres navales des forces fascistes. L’organisation de Troeller a \u00e9galement mise en place une fili\u00e8re pour aider es r\u00e9fugi\u00e9s politiques et juifs \u00e0 fuir les territoires occup\u00e9s par les Nazis.
\nApr\u00e8s la guerre, Troeller est retourn\u00e9 au Luxembourg o\u00f9 il a lanc\u00e9 en collaboration avec Norbert Gomand le journal „L’Ind\u00e9pendant“. Ils y mettaient en \u00e9vidence que, pendant l’occupation du Duch\u00e9 par les Nazis, le gouvernement du Luxembourg, par son attitude attentiste, avait abandonn\u00e9 ses citoyens. Cela a d\u00e9plu au gouvernement qui a port\u00e9 plainte pour diffamation contre les deux \u00e9diteurs. Les innombrables proc\u00e8s ont provoqu\u00e9 la faillite du journal.<\/p>\n

En 1945, sans travail, mais toujours aussi d\u00e9termin\u00e9, Troeller s’est confectionn\u00e9 au march\u00e9 aux puces un uniforme de bric et de broc. Sur l’\u00e9paule, il s’est brod\u00e9 „War correspondent“ ; il s’est achet\u00e9 une limousine am\u00e9ricaine et s’est autoproclam\u00e9 correspondant de guerre ind\u00e9pendant. Troeller a voyag\u00e9 dans l’Europe d’apr\u00e8s guerre et a eu tr\u00e8s vite acc\u00e8s \u00e0 toutes les facilit\u00e9s accord\u00e9es \u00e0 la presse, y compris l’essence et les cigarettes gratuites. La rencontre avec un officier canadien a tout boulevers\u00e9. Apr\u00e8s avoir jet\u00e9 un coup d’\u0153il sur son uniforme celui-ci lui lan\u00e7a :“Troeller, t’es un tricheur! Tu portes une veste anglaise et un pantalon am\u00e9ricain, et ton \u00e9paulette n’est pas non plus tr\u00e8s convaincante.“ N\u00e9anmoins, s\u00e9duit par l’audace de Troeller, l’officier l’a fait accr\u00e9diter par l’arm\u00e9e canadienne en Allemagne et lui a fourni l’uniforme r\u00e9glementaire. A ce moment Troeller \u00e9crivait d\u00e9j\u00e0 pour environ soixante journaux europ\u00e9ens.<\/p>\n

En 1946, il s’installa \u00e0 Madrid en tant que correspondant \u00e0 l’\u00e9tranger pour le journal hollandais „Algemeen Handelsblad“ pour informer sur le dernier r\u00e9gime fasciste d\u2019Europe. Deux ans plus tard, il se heurta au r\u00e9gime de Franco et passa trois mois en prison. Troeller avait aid\u00e9 un ami leader clandestin du mouvement s\u00e9paratiste basque \u00e0 s’enfuir en France.
\nRenvoy\u00e9 en Hollande, rempli de nostalgie des images, sons, et parfums espagnols, il s’est \u00e9gar\u00e9 un soir \u00e0 Amsterdam dans un bar o\u00f9 se produisait une danseuse de flamenco. C’\u00e9tait fin 1948, et le coup de foudre! Marie-Claude Deffarge, jeune \u00e9tudiante fran\u00e7aise \u00e0 la Sorbonne \u00e9tait \u00e0 la recherche d’exp\u00e9riences pratiques pour sa th\u00e8se sur la musique et la danse espagnole. Gordian s’est s\u00e9par\u00e9 alors de sa femme et s’est engag\u00e9 dans une relation extraordinaire.<\/p>\n

En 1952, Troeller et Deffarge sont partis pour T\u00e9h\u00e9ran. Deffarge avait \u00e9t\u00e9 invit\u00e9e par le demi-fr\u00e8re de Mossadegh pour danser le flamenco dans la capitale persane. Tous deux sont tomb\u00e9s amoureux du pays. Cette rencontre fortuite fut une chance. Lorsque Mossadegh a renvers\u00e9 le schah en 1951 et nationalis\u00e9 les compagnies p\u00e9troli\u00e8res, le premier conflit Nord-Sud \u00e9tait n\u00e9 et les deux reporters avaient un acc\u00e8s direct au Premier Ministre.
\nL’ann\u00e9e 1955 a marqu\u00e9 un tournant dans leur travail journalistique. Pendant six mois, ils ont accompagn\u00e9 \u00e0 travers tout le pays la transhumance de la tribu nomade des Bassiri. Ce voyage a radicalement et d\u00e9finitivement chang\u00e9 leur point de vue. Leur foi dans la sup\u00e9riorit\u00e9 de la „civilisation“ occidentale vis \u00e0 vis du reste du monde a \u00e9t\u00e9 profond\u00e9ment \u00e9branl\u00e9e.
\nA partir de ce moment leurs reportages se sont essentiellement concentr\u00e9s sur la probl\u00e9matique suivante : l’appauvrissement culturel et \u00e9conomique des pays dits en voie de d\u00e9veloppement est le r\u00e9sultat des politiques de croissance et de d\u00e9veloppement du monde occidental.
\nNotre Luxembourgeois et notre Fran\u00e7aise ont jet\u00e9 leur eurocentrisme et leur objectivit\u00e9 dans les poubelles de l’histoire. Ces notions n’avaient plus aucune signification dans le cadre de leur travail. Troeller et Deffarge sont rest\u00e9s au Moyen-Orient jusqu’en 1958 o\u00f9 ils ont fait des reportages sur l’Irak, la Syrie, le Liban, la Turquie et l’Iran.<\/p>\n

En 1960 le couple s’est install\u00e9 \u00e0 Hambourg pour travailler au magazine hebdomadaire „Stern“. C’\u00e9tait la p\u00e9riode de la d\u00e9colonisation et des luttes de lib\u00e9ration. Pendant les dix ann\u00e9es qui suivirent ils ont couvert la plupart des conflits en Asie, Afrique et Am\u00e9rique Latine. Leurs reportages, controvers\u00e9s et percutants, leur regard critique et incorruptible ont fait d\u00e9couvrir \u00e0 l’Allemagne une v\u00e9rit\u00e9 sans fard. Ils ont r\u00e9v\u00e9l\u00e9 au lecteur allemand un nouveau monde, une nouvelle approche pleine de sympathie et de compr\u00e9hension pour les besoins r\u00e9els des pays dits en voie de d\u00e9veloppement.
\nUne s\u00e9rie d’articles sur le r\u00f4le de la France pendant la guerre d’Alg\u00e9rie a particuli\u00e8rement exasp\u00e9r\u00e9 le gouvernement fran\u00e7ais. Le magazine „Stern“ a \u00e9t\u00e9 interdit pendant six semaines dans le pays. Peu de temps apr\u00e8s le nom Troeller\/Deffarge \u00e9tait synonyme de regard diff\u00e9rent et de label de qualit\u00e9. Le tirage du magazine a augment\u00e9 rapidement. La s\u00e9rie d’articles „Femmes de ce monde“, qui faisait la une, fut un succ\u00e8s total. Commentant cette p\u00e9riode, avec cet humour malicieux bien \u00e0 lui, Troeller remarque que le magazine „Stern“ \u00e9tait la meilleure agence de voyage qu’il ait jamais eue.
\nPeu de temps apr\u00e8s Troeller a ajout\u00e9 une cam\u00e9ra \u00e0 son impressionnante collection d’appareils photos.<\/p>\n

A la fin des ann\u00e9es 60, s’est associ\u00e9e \u00e0 l’\u00e9quipe une jeune allemande, Ingrid Becker-Ross. Elle a commenc\u00e9 \u00e0 collaborer \u00e0 l’\u00e9laboration et \u00e0 la r\u00e9alisation des films. En 1974 le couple Troeller\/Deffarge s\u2019est s\u00e9par\u00e9. Marie-Claude Deffarge est retourn\u00e9e alors en France tout en continuant \u00e0 collaborer aux films jusqu\u2019\u00e0 sa mort en 1984. Troeller et Ingrid Becker-Ross ont continu\u00e9 \u00e0 travailler dans la m\u00eame optique.<\/p>\n

De 1963 \u00e0 1998, Troeller a tourn\u00e9 89 films. Leur sujet central est l’id\u00e9e que „la notion de d\u00e9veloppement ne peut que conduire au sous-d\u00e9veloppement“, conviction qu’il a d\u00e9fendue tout au long de sa vie de travail. Troeller a consciemment pris position contre l’id\u00e9e qu’il existerait des films documentaires objectifs et a opt\u00e9 pour une conception de parti pris. Ses points de vue sont pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e9nonc\u00e9s. C’est pour cette raison que ses films se pr\u00eatent bien \u00e0 une utilisation p\u00e9dagogique, bien mieux que des reportages qui se veulent objectifs. Ses films offrent ainsi un mat\u00e9riau d’acc\u00e8s facile et dont on peut ais\u00e9ment d\u00e9battre. Pour chacune des th\u00e9ories avanc\u00e9es ils nous livrent des preuves. Ces films abordent des questions fondamentales et c’est pr\u00e9cis\u00e9ment pour cette raison qu’ils sont toujours d’actualit\u00e9, et suscitent donc encore le d\u00e9bat. L’ensemble de son \u0153uvre perdurera.<\/p>\n

Ce texte a \u00e9t\u00e9 mis sur Internet toute suite apr\u00e8s la mort de Gordian Troeller par Navina Sundaram, la r\u00e9alisatrice de sa biographie film\u00e9e \u00ab Zwischen allen St\u00fchlen auf dem richtigen Platz \u00bb(1995).<\/em><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Quel est l’\u00e2ge de Gordian Troeller? Est-ce bien important? L’homme au grand \u0153il (il est surnomm\u00e9 ainsi car sa cam\u00e9ra ne le quittait pratiquement jamais) n’avoue pas son \u00e2ge non par coquetterie mais pour des raisons pratiques. Alors qu’il tournait en 1978 son film Les panth\u00e8res grises il constata que le travail de sa vie…<\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":64867,"parent":57424,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"_seopress_robots_primary_cat":"","_seopress_titles_title":"","_seopress_titles_desc":"","_seopress_robots_index":"","footnotes":""},"categories":[],"tags":[],"class_list":["post-57931","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry","entry","has-media"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57931"}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=57931"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57931\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":57932,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57931\/revisions\/57932"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57424"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/media\/64867"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=57931"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=57931"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=57931"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}