{"id":57940,"date":"2017-03-11T22:15:55","date_gmt":"2017-03-11T21:15:55","guid":{"rendered":"http:\/\/www.troeller-deffarge.com\/?page_id=57940"},"modified":"2018-03-05T09:28:02","modified_gmt":"2018-03-05T08:28:02","slug":"entretien-avec-marie-claude-deffarge-et-gordian-troeller-dans-cinema-avril-1977","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/fr\/loeuvre\/la-personne\/entretien-avec-marie-claude-deffarge-et-gordian-troeller-dans-cinema-avril-1977\/","title":{"rendered":"Entretien avec Marie-Claude Deffarge et Gordian Troeller (dans \u00bbCin\u00e9ma \u00bb, avril 1977)"},"content":{"rendered":"

Un pr\u00e9jug\u00e9 cin\u00e9philique tr\u00e8s r\u00e9pandu veut qu’il n’y a de cin\u00e9ma que de fiction. A la limite, le documentaire, ce n\u2019est pas du cin\u00e9ma ! En vous donnant la parole, nous voulons corriger cette erreur afin de ne plus \u00e9tablir de discrimination entre fiction et document, entre courts et longs m\u00e9trages. Nous voudrions aussi informer nos lecteurs des conditions de la chasse \u00e0 l’information dans le domaine audio-visuel. Mais d’abord, qu’est-ce qui vous a amen\u00e9s \u00e0 devenir grands reporters et qu’est-ce qui justifie l’association qui vous caract\u00e9rise, vous, Claude Deffarge et Gordian Troeller?<\/em><\/p>\n

Claude Deffarge – C’est effectivement n\u00e9cessaire de le pr\u00e9ciser apr\u00e8s les accusations qui nous ont \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9es, \u00e0 Royan en 1975, d’\u00eatre les d\u00e9l\u00e9gu\u00e9s de la grande presse internationale capitaliste. Nous \u00e9tions choqu\u00e9s, partag\u00e9s entre la stup\u00e9faction et le rire.
\nGordian Troeller – C’est la guerre qui m’a amen\u00e9 au journalisme. Mais avant qu’elle n’\u00e9clate, j’avais d\u00e9j\u00e0 quitt\u00e9 le Luxembourg pour tenter de faire des \u00e9tudes de m\u00e9decine… \u00e0 l’universit\u00e9 de Naples ! pensant que l\u00e0-bas je n’aurais pas \u00e0 pr\u00e9senter les dipl\u00f4mes – que je ne poss\u00e9dais pas. Puis j’ai voulu m’engager dans les brigades internationales, – mais c’\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 la d\u00e9bandade. Je suis de retour au Luxembourg juste avant la d\u00e9claration de guerre. Je m’enfuis alors en bicyclette, traversant la France pour \u00e9chouer au Portugal, apr\u00e8s avoir connu une bonne dizaine de prisons espagnoles. La grande difficult\u00e9 : ma nationalit\u00e9 luxembourgeoise (mon pays \u00e9tant alors annex\u00e9 par 1’Allemagne et ses habitants enr\u00f4l\u00e9s de force dans l’arm\u00e9e allemande). L\u00e0-bas; \u00e0 Lisbonne, j’observe des activit\u00e9s bizarres, sur les plages, et mets sur pied un r\u00e9seau antiallemand…
\nC.D. – Mais si Gordian Troeller commence \u00e0 raconter son action pendant la guerre, \u00e7a va durer des heures… D’ailleurs, cela a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 le sujet d’un bouquin…
\nG.T.- Bref, je dois quitter le Portugal et me retrouve en 1944 correspondant de guerre… avec uniforme canadien. Apr\u00e8s avoir \u00ab couvert \u00bb le d\u00e9barquement et la campagne d’Italie, j’entreprends en 1945 au Luxembourg une action anti-gouvernementale: Les r\u00e9sistants luxembourgeois avec lesquels j’avais travaill\u00e9 pendant la guerre \u00e9taient du m\u00eame avis que moi : car le gouvernement ne s’\u00e9tait pas bien comport\u00e9, en se r\u00e9fugiant au Canada. Je fonde un journal : \u00abL’Ind\u00e9pendant\u00bb et c’est l’affrontement imm\u00e9diat avec le gouvernement. Nous nous voyons contraints de faire imprimer en Belgique et de passer notre canard clandestinement dans le pays. Mais, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ce qui se passait en Europe, le cadre de la politique int\u00e9rieure luxembourgeoise me semblait bien \u00e9troit. De directeur, je passe \u00e0 la fonction de correspondant itin\u00e9rant de mon propre journal. Proc\u00e8s de Nuremberg, huit mois en voiture dans l\u2019’Europe lib\u00e9r\u00e9, jusqu’en Hongrie et en Union sovi\u00e9tique. J’\u00e9tablis une relation avec une cha\u00eene de journaux du Nord de l’Europe et du Canada ; je collabore \u00e0 \u00ab Gavroche \u00bb. Reviens en Espagne comme correspondant d’un grand nombre de petits journaux: Entre en relation avec les r\u00e9sistants antifranquistes, agis avec eux presque autant que j’\u00e9cris… et ayant aid\u00e9 un groupe de r\u00e9sistants basques \u00e0 s’enfuir, je me retrouve en prison. Expuls\u00e9 d’Espagne, avec dix ans d’interdiction de s\u00e9jour, je rencontre Claude Deffarge, en Hollande.
\nC.D. – La guerre, pour moi, ce fut la Sorbonne, des \u00e9tudes incoh\u00e9rentes, des professeurs qui disparaissaient – en kh\u00e2gne, \u00e0 S\u00e9vign\u00e9, j’ai eu quelque temps Pierre Brossolette pour professeur ! -, des r\u00e9seaux de r\u00e9sistance qui nous utilisaient, nous les filles, et nos all\u00e9es et venues en bicyclette, sans nous mettre tout \u00e0 fait dans le coup – les filles, on ne leur faisait pas vraiment confiance. Mon refuge, \u00e0 ce moment-1\u00e0, c’\u00e9taient les cours d’\u00e9gyptologie. Et le secr\u00e9tariat d’un professeur qui aimait bien les danseuses, \u00e9crivait des articles sur elles et m’envoyait faire des recherches \u00e0 la biblioth\u00e8que de l\u2019Op\u00e9ra. J’entreprends un dictionnaire de la danse qui devient vite un dictionnaire de la danse espagnole, car les gitans m’int\u00e9ressaient beaucoup plus que Serge Lifar. J’apprends \u00e0 danser avec eux, monte un num\u00e9ro de flamenco avec un vieux guitariste refugi\u00e9 \u00e0 Paris (apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 dessinateur de chemin de fer et organis\u00e9 une des premi\u00e8res gr\u00e8ves en Espagne dans les ann\u00e9es 20): Il \u00e9tait anarchiste. On participait \u00e0 des tourn\u00e9es avec les gitans, ou bien on allait en Belgique et en Hollande – on passait dans des music-halls ou dans des cabarets. C’est l\u00e0 que j’ai connu Gordian, qui, expuls\u00e9 d’Espagne, s’est pr\u00e9cipit\u00e9 sur le premier spectacle \u00abespagnol\u00bb qu’il rencontrait. C’\u00e9tait \u00e0 Amsterdam..
\nG.T. – Quelques mois apr\u00e8s, on commen\u00e7ait \u00e0 travailler ensemble, un an ou deux apr\u00e8s, \u00e0 vivre et voyager ensemble. De 1949 \u00e0 1952, j’\u00e9tais correspondant en Italie.<\/p>\n

Est-ce l\u00e0 que s’est fait la pas- sage entre la journalisme \u00e9crit et la photo ?<\/p>\n

C.D.- En fait, les photos d’hommes politiques, ou de situations, que faisait alors Gordian, \u00e9taient excellentes. Mais nous ne nous sommes lanc\u00e9s vraiment dans la photo qu’en Iran o\u00f9 j’avais \u00e9t\u00e9 appel\u00e9e pour r\u00e9aliser un guide arch\u00e9ologique, par le demi-fr\u00e8re de Mossadegh. Gordian est venu me rejoindre et c’est au cours de notre inventaire de l\u2019Iran que la n\u00e9cessit\u00e9 de l’image s’est impos\u00e9e \u00e0 nous.
\nG.T.-Il faut pr\u00e9ciser que j’avais d\u00e9j\u00e0 fait un peu de cam\u00e9ra 16 mm, des petits films d’amateur.
\nC:D. – Passionn\u00e9s par nos recherches, nous avons donc liquid\u00e9 notre appartement en Italie et achet\u00e9 une \u00abstation-wagon\u00bb. Nous avons fait un reportage sur les Turcomans de la fronti\u00e8re; alors que nous \u00e9tions surtout l\u00e0 pour les vieilles pierres ! Nous d\u00e9couvrions la diversit\u00e9 du monde nomade. Et en photographiant Pers\u00e9polis, nous avons d\u00e9couvert l’une des plus vieilles tribus iraniennes : nous nous sommes li\u00e9s d’amiti\u00e9 avec eux et avons d\u00e9cid\u00e9 de les suivre.
\nG.T. – Nous avions pass\u00e9 un accord avec l’UNESCO pour L’Ann\u00e9e de la s\u00e9dentarisation: On faisait du footage : on filmait, on nettoyait un peu, mais ce n’\u00e9tait pas des films termin\u00e9s; ils n’\u00e9taient m\u00eame pas synchrones.
\nC.D. – Mais c’\u00e9tait toujours politique. Au fond, ce qui nous int\u00e9ressait, c\u2019\u00e9tait le fonctionnement de la tribu, le m\u00e9canisme du pouvoir, la r\u00e9partition des r\u00f4les … On a fait ainsi 700 km en Iran, en vivant comme eux. C’\u00e9tait en 1955.
\nG.T. – L’affaire de Suez, en 1956, fut pour nous le grand tournant. Nous \u00e9tions par hasard \u00e0 Damas; et gr\u00e2ce \u00e0 ma nationalit\u00e9 Luxembourgeoise, nous avons pu y rester alors que tous les journalistes fran\u00e7ais et anglais \u00e9taient expuls\u00e9s.<\/p>\n

A cette date, vous \u00e9tiez grands reporters et, \u00e0 nouveau, correspondants politiques ?<\/p>\n

C.D. – A ce moment-1\u00e0, le BAAS se constituait; et nous apprenions l\u2019arabe pour traduire leurs th\u00e8ses et faire comprendre ce qui se passait en Syrie.
\nG.T. – De plus, nous avions une colonne r\u00e9guli\u00e8re dans la presse locale. Pour la premi\u00e8re fois, des journalistes europ\u00e9ens pouvaient poursuivre un dialogue critique : les Syriens nous r\u00e9pondaient avec v\u00e9h\u00e9mence (ainsi, ils nous traitaient d’imp\u00e9rialistes lorsqu’on leur disait que les paysans n’avaient pas besoin, prioritairement, du tout-\u00e0-l\u2019\u00e9gout \u2026).
\nLa question de la r\u00e9forme agraire nous int\u00e9ressait. Nous avions vu qu’en Iran, elle consistait \u00e0 r\u00e9duire les nomades \u00e0 la mendicit\u00e9. Le BAAS avait, en revanche, des id\u00e9es plus justes, mais nous \u00e9tions trop souvent en conflit avec lui. En 1957, nous avons pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 aller \u00e9tudier le Liban, puis nous avons \u00e9t\u00e9 en Allemagne o\u00f9 l’on nous proposait de publier un ouvrage sur l’Iran.
\nC.D. \u2013 Notre livre, \u00abPerse sans masque\u00bb, fut r\u00e9duit par l’\u00e9diteur \u00e0 un objet culturel, tout l’\u00e9l\u00e9ment politique ayant \u00e9t\u00e9 gomm\u00e9.
\nG.T. – Le livre venait de sortir, lorsque \u00abStern\u00bb nous appela pour faire des reportages au Moyen-Orient. Cette collaboration devait durer de 1959 \u00e0 1972. Le prestige de la photo allemande nous a d’abord s\u00e9duits.
\nC.D. – Gordian parle six langues (m\u00eame huit), dont l\u2019espagnol. Aussi nous fut-il propos\u00e9 un reportage sur l\u2019invasion de la Costa Brava par les Allemands…
\nG.T. – Cela nous permit de faire un bilan exhaustif de l\u2019opposition en Espagne. \u00abStern\u00bb fut mis devant le fait accompli, mais le succ\u00e8s de la s\u00e9rie fut consid\u00e9rable. Nous nous retrouvions vers\u00e9s dans le genre grand reportage politique. Et nous en r\u00e9alisions un sur la Sicile qui nous valut un Premier prix \u00e0 la Photokina. Puis nous avons d\u00e9cid\u00e9 de retourner en Iran afin de contre-informer l’image qu’avait l’Allemagne de l\u2019Iran et de sa famille royale (il existait m\u00eame \u00e0 l’\u00e9poque un journal qui s’intitulait \u00abSoraya quotidien\u00bb !). Le reportage fit grand scandale, l’opinion fut boulevers\u00e9e.<\/p>\n

Quelle est la tendance id\u00e9ologique de \u00abStern\u00bb ?<\/p>\n

C.D. – Aucune… C’est un hebdo de grande information qui aime le chahut et un certain non-conformisme, souvent \u00e9quivoque. L’important, c’est que le tirage monte.<\/p>\n

Qu’avez-vous fait pour eux ?<\/p>\n

C.D. – Essentiellement, des reportages sur les pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s : Cara\u00efbes, Br\u00e9sil, etc. C’\u00e9taient de grands reportages publi\u00e9s en s\u00e9ries (entre 200 et 500 pages). Nous avions une libert\u00e9 incroyable et pouvions prolonger nos voyages comme nous 1’entendions.
\nNous avons fait un reportage sur l\u2019OAS (\u00e0 la suite duquel \u00abStern\u00bb fut interdit en France), sur les gu\u00e9rillas en Afrique et sur le Y\u00e9men Nord (du c\u00f4t\u00e9 r\u00e9publicain et du c\u00f4t\u00e9 royaliste). Puis, surtout, des gu\u00e9rillas, un peu partout.<\/p>\n

A partir de quel moment \u00eates-vous pass\u00e9s \u00e0 la r\u00e9alisation film\u00e9e ?<\/p>\n

G.T. – A partir du Y\u00e9men Nord. Persuad\u00e9s que le film serait plus convaincant que le r\u00e9cit ou la photo, nous avions achet\u00e9 des cam\u00e9ras. En outre, nous avions la nostalgie du footage, dont les r\u00e9sultats nous semblaient satisfaisants. Auparavant, en Iran, nous avions commenc\u00e9 un film de fiction en 35 mm (une histoire d’espions, de traite d’esclaves…) qui ne put \u00eatre achev\u00e9 faute d’argent suffisant.<\/p>\n

Quels sont les probl\u00e8mes que vous a pos\u00e9 la r\u00e9alisation, le montage ? Avez-vous travaill\u00e9 d’une mani\u00e8re pragmatique ?<\/p>\n

C.D.-Aucun probl\u00e8me ! Nous avons travaill\u00e9 de fa\u00e7on empirique. Gordian, qui aime beaucoup le cin\u00e9ma, a le go\u00fbt des s\u00e9quences qui sont en elles-m\u00eames une action.
\nG.T.-Pour dire vrai, nous avons mis deux mois \u00e0 monter notre premier film sur le Y\u00e9men… Il est quand m\u00eame pass\u00e9 \u00e0 \u00abCinq Colonnes \u00e0 la Une\u00bb.<\/p>\n

Comment votre conception du film a-t-elle \u00e9volu\u00e9 ?<\/p>\n

C.D. – Au d\u00e9but, je mettais trop de texte sur l\u2019image, je voulais tout expliquer ; nous faisions des \u00e9ditoriaux politiques. Ce n\u2019est que petit \u00e0 petit que nous avons trouv\u00e9 un \u00e9quilibre entre le texte et l’image, qui lib\u00e8re l’un par rapport \u00e0 l’autre. Je crois qu’on a invent\u00e9 au fur et \u00e0 mesure une \u00e9criture de grand reportage qui comporte le choix d’un style. Je ne vois pas la barri\u00e8re avec le reste du cin\u00e9ma.
\nG.T. – Ainsi notre reportage sur la Corse est, \u00e0 nos yeux, r\u00e9ussi, car il comporte peu de textes explicatifs, beaucoup de participation avec les gens et de nombreuses situations qui s’expliquent d’elles-m\u00eames.<\/p>\n

Pensez-vous que l\u2019information visuelle peut se suffire \u00e0 elle-m\u00eame ?<\/p>\n

C.D. – Le film sur l’Iran pourrait \u00eatre muet : mais ce serait la pire des choses. Une image de Pers\u00e9polis \u00e9voque la grandeur de Sa Majest\u00e9 et non la tribu qui cr\u00e8ve juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Il faut produire d’autres associations d’id\u00e9es. L’image ne se suffit pas, car elle est elle-m\u00eame d\u00e9j\u00e0 fauss\u00e9e dans l’esprit des gens. II faut compenser une information qui est toujours \u00e0 sens unique.<\/p>\n

Par quels moyens, sur le plan id\u00e9ologique ?<\/p>\n

C.D. – Prenons l’exemple de la mosqu\u00e9e de Shiraz, un important lieu de p\u00e8lerinage. On commence par un gros plan sur deux militaires, puis l’on voit ces militaires discuter famili\u00e8rement avec des femmes : on corrige ainsi l’image de la religion isol\u00e9e du monde.<\/p>\n

Lorsque vous filmez le grand leader aryen, vous le faites avec un minimum de commentaires, mais selon un angle de prise de vues qui montre le grand portrait du Shah au-dessus de sa t\u00eate. Ce portrait a-t-il \u00e9t\u00e9 ajout\u00e9 par vous volontairement ?<\/p>\n

G.T- Non, par principe, nous n’utilisons jamais ce genre de proc\u00e9d\u00e9. Il ne s’agit m\u00eame pas d’une volont\u00e9 de d\u00e9nonciation. C\u2019est une information politique : ce leader est maintenant soutenu par le Shah qui s’appelle lui-m\u00eame, aujourd’hui, \u00abLa Lumi\u00e8re des Aryens\u00bb.<\/p>\n

Dans une s\u00e9quence de votre film sur l’Alg\u00e9rie o\u00f9 vous faites allusion au march\u00e9 occidental, vous d\u00e9passez, semble-t-il, la stricte neutralit\u00e9 du rapport en filmant une femme qui regarde les vitrines o\u00f9 sont pr\u00e9sent\u00e9s ces produits europ\u00e9ens.
\n.
\nG.T. – Je voulais montrer la s\u00e9duction qu’exercent ces produits sur la bourgeoisie alg\u00e9roise. Nos films sont souvent tourn\u00e9s clandestinement. Nous guettons, nous surprenons des comportements. Nous nous sentons proches des m\u00e9thodes de Dziga Vertov.
\nC.D. – Gordian ne veut rien savoir du pays o\u00f9 il va faire un reportage ; il veut avoir l\u2019\u0153il neuf. Moi, c’est l’inverse. Je pars avec des dossiers, des th\u00e8mes pr\u00e9par\u00e9s… La plupart du temps, \u00e7a se casse la figure sur le terrain. Mais c’est important que le dossier n’ait servi \u00e0 rien.<\/p>\n

Quelles sont les limites que vous attribuez \u00e0 1’objectivit\u00e9 ?<\/p>\n

G.T. -Avec la photo, on peut facilement tricher (\u00e0 la prise de vue, au tirage…). C\u2019est plus difficile avec le film : l’ambiance compte beaucoup et seul le plan-s\u00e9quence, incoupable, la restitue.<\/p>\n

Tenez-vous compte du media et du public auxquels sont destin\u00e9s vos films ?<\/p>\n

G.T. – Non, car, \u00e0 l’exception de \u00abStern\u00bb, nous ne travaillons pas sur commande. Nous vendons un produit fini sur lequel une option a pu \u00eatre prise.<\/p>\n

En fait, vous avez toujours choisi vous-m\u00eame vos th\u00e8mes ?<\/p>\n

C.D. – Et nous avons vu beaucoup de situations qui se r\u00e9p\u00e8tent : les gens coinc\u00e9s par les m\u00eames situations. Une id\u00e9e s’est alors impos\u00e9e \u00e0 nous que les explications habituelles sur le sous-d\u00e9veloppement ne prenaient pas en compte. Ainsi le Sud-Y\u00e9men n’avait, avant la r\u00e9volution, aucune des caract\u00e9ristiques des pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s (\u00e9migration des paysans, analphab\u00e9tisme, sous-alimentation). Le sous-d\u00e9veloppement est un produit d’importation, la cons\u00e9quence de la mise au pas de l\u2019\u00e9conomie d’un pays faible au profit de pays \u00e9conomiquement plus forts. Et nous avons \u00e9t\u00e9 amen\u00e9s \u00e0 d\u00e9gager cette notion de pr\u00e9-sous-d\u00e9veloppement comme les th\u00e9oriciens le firent de leur c\u00f4t\u00e9.. Nous avons d\u00fb trouver, ce faisant; une autre mani\u00e8re d\u2019\u00e9crire.<\/p>\n

Avez-vous eu l’impression qu’en commen\u00e7ant \u00e0 th\u00e9oriser, vous perdiez une certaine spontan\u00e9it\u00e9 dans la mani\u00e8re d’approcher la r\u00e9alit\u00e9, mais en m\u00eame temps que vous gagniez un plus grand enrichissement id\u00e9ologique ?<\/p>\n

C.D. – Une fa\u00e7on de travailler distingue Gordian de ses coll\u00e8gues. C\u2019est la spontan\u00e9it\u00e9 du regard qui garantit notre enrichissement id\u00e9ologique. C\u2019est souvent en voyant les gu\u00e9rillas qu’on les trouvait justes et que, pour nous, elles devenaient importantes.<\/p>\n

Propos recueillis par Gaston Haustrate
\ndans : Cin\u00e9ma, Num\u00e9ro 220, avril 1977<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Un pr\u00e9jug\u00e9 cin\u00e9philique tr\u00e8s r\u00e9pandu veut qu’il n’y a de cin\u00e9ma que de fiction. A la limite, le documentaire, ce n\u2019est pas du cin\u00e9ma ! En vous donnant la parole, nous voulons corriger cette erreur afin de ne plus \u00e9tablir de discrimination entre fiction et document, entre courts et longs m\u00e9trages. Nous voudrions aussi informer…<\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":54972,"parent":57424,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"_seopress_robots_primary_cat":"","_seopress_titles_title":"","_seopress_titles_desc":"","_seopress_robots_index":"","footnotes":""},"categories":[],"tags":[],"class_list":["post-57940","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry","entry","has-media"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57940","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=57940"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57940\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":57941,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57940\/revisions\/57941"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/pages\/57424"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/media\/54972"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=57940"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=57940"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.troeller-deffarge.com\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=57940"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}